À la rencontre de Yanis Skouta
Accueilli en juin dernier à La Pokop pour une résidence de création autour de son premier spectacle Paysage, Yanis Skouta est un jeune comédien diplômé de l’École du Théâtre National de Strasbourg (TNS) en 2019. À l’issue de sa formation, il fonde sa compagnie Me revient le manque afin de développer ses propres projets d’écriture et de mise en scène.
Depuis septembre 2022, il bénéficie du soutien du festival Démostratif et de La Pokop pour la création de son spectacle qu’il présentera le 07 juin prochain à La Pokop lors de la 6ème édition de Démostratif, festival des arts scéniques émergents.
Rencontre avec ce jeune artiste qui utilise l’écriture pour partager ses peurs, ses angoisses, ses espoirs et aller à la rencontre de ses contemporains.
« Je fais l’archéologie de moi-même et de mes sentiments »
Lorsqu’il crée sa compagnie, Me revient le manque, en 2019 en sortant de l’École du TNS, Yanis Skouta souhaite garder un lien avec l’école et rassembler d’anciens camarades autour de nouveaux projets. Et c’est justement en réfléchissant à l’avenir que le projet Paysage commence à voir le jour.
En effet, son spectacle a eu deux vies : l’une avant la pandémie du covid-19 et la deuxième, après la pandémie. Lorsqu’il imagine les prémices de cette pièce en 2019, Yanis trouve l’inspiration dans un voyage en amoureux en Grèce où il est marqué par un sentiment d’angoisse lié à sa sortie d’école, à son avenir professionnel mais aussi à l’avenir écologique. Transporté par les paysages idylliques qu’il observe pendant ce voyage, il est frappé par la possibilité de leurs effondrements.
Puis vient le temps du confinement. Et avec lui, l’incertitude de l’avenir. Il en profite alors pour retravailler son texte, le réécrire, et y ajouter la question de ce confinement qu’il passe à deux et qui vient nourrir son travail. Pour Yanis se pose alors la question de comment construire d’autres espaces dans l’effondrement ? Et selon lui, l’histoire d’amour de Bulle et Yeen dans Paysage est une réponse à cette interrogation. Une façon d’échapper à la fatalité qui s’annonce.
« C’est une histoire d’amour. Malgré l’effondrement du paysage, Bulle et Yeen, dans leur relation amoureuse, continuent d’avancer. Ils cherchent une porte sortie, ils ont l’espoir. Donc il y a un mouvement contraire entre ce sentiment d’angoisse et cet avenir vers lequel on ne veut pas aller, et en même temps le temps continue d’avancer, le paysage s’effondre mais il y a aussi une relation qui se crée. Ça pose la question de comment trouver dans l’effondrement de nouveaux espaces. Et on répond à l’effondrement de l’espace en trouvant des espaces alternatifs. »
Loin d’une approche politique de l’effondrement, Yanis Skouta choisit plutôt de saisir une émotion, de la traduire, de la mettre en jeu et d’aller chercher chez le public les points de rencontre de ces émotions.
« Ce n’est pas tant conquérir une question que de se laisser conquérir par celle-ci, laisser ses émotions venir et les traduire. Ce que je remarque c’est que je fais de l’archéologie de moi-même, de mes sentiments. Et à partir de là, si je suis le plus juste possible avec ce sentiment d’angoisse de l’avenir, je peux trouver en quoi ce sentiment peut-être communément partagé. En allant chercher chez moi des angoisses et des sentiments, je peux trouver un écho avec ce que d’autres gens ressentent. »
« Utiliser la fiction pour pouvoir se projeter, c’est pouvoir assumer une angoisse et la mettre en jeu »
Le choix de la science-fiction, genre de l’anticipation par excellence, pour parler d’effondrement permet à Yanis d’établir un pacte de lecture avec le public. Le public en connaît les codes, il a ses propres références du genre et peut donc s’approprier l’œuvre, la critiquer et choisir ce qu’il en retient.
Mais la fiction permet également un décalage du regard. De cette manière, il invite le public à plonger dans son univers, à se confronter à l’angoisse de l’effondrement, tout en gardant une certaine mise à distance. Le public sait qu’il s’agit d’une fiction, il peut s’y plonger, mais aussi en sortir lorsque cela devient trop pour lui.
« J’aimerais que le public, à la manière d’un rêve dont on se réveille, puisse se dire : Ouf ! C’était qu’une angoisse. Mais ça raconte quelque chose sur mes angoisses dans le réel et je vais me mettre en mouvement. Je vais essayer d’agir pour éviter cette représentation de l’esprit que j’ai vu en rêve, que j’ai vu apparaître. On plonge dans la fiction, mais on peut en sortir et décider d’agir sur le réel. »
« Il ne s’agit pas de faire du cinéma au théâtre, mais plutôt d’en utiliser les codes pour les ramener au théâtre »
L’influence plus générale du cinéma se ressent dans Paysage. En effet, Yanis Skouta choisit avec cette pièce de se servir des codes du cinéma pour explorer la forme théâtrale, ce qui la distingue du cinéma.
Cette influence se traduit dans la pièce par l’écriture, le choix d’une forme scénaristique qui s’organise autour de séquences, et les possibilités offertes par l’utilisation de la caméra ou le montage.
« Au niveau de l’écriture et de la mise en scène, j’ai travaillé comme un film de cinéma. Mais je ne fais pas du cinéma au théâtre, c’est-à-dire que je me sers des codes du cinéma pour les ramener au théâtre. Donc dans l’écriture, dramaturgiquement, il y a comment est-ce qu’on fait des ellipses, des cut, des montages ou des fondus, et comment est-ce que certains textes vont être inspirés de mouvements de cinéma, un travelling, un zoom avant, un plan séquence par exemple. »
On retrouve aussi cette influence dans la mise en scène avec l’utilisation de cut lumières, d’une ambiance sonore pour le son des flammes ou de la pluie par exemple, ou encore l’utilisation de micros sans fils qui rappellent le son des films de cinéma, sans que les acteurs soient filmés.
Le travail du réalisateur Andreï Tarkovski est aussi une grande source d’inspiration pour lui. Il cite notamment Solaris, et la fameuse scène de l’autoroute qui sert de métaphore au voyage dans l’espace. Avec un simple travelling qui suit une voiture sur l’autoroute, Tarkovski réussit à faire voyager le spectateur d’un espace à un autre. C’est dans cette même dynamique que Yanis décide de matérialiser l’espace de la pièce en se concentrant sur des signes évocateurs. Le décor est simple, quelques accessoires seulement, le texte et les acteurs font le reste et, sous les yeux du public, l’espace scénique se métamorphose d’une maison en ruine à un plancher d’appartement, puis à une pergola au bord de la mer.