Accueilli lors de la 6ème édition de Démostratif, festival des scènes émergentes, le collectif Toter Winkel a présenté en juin dernier, son spectacle DIE HAUT, plus que nu. Depuis septembre 2023, il bénéficie du soutien de La Pokop et de Démostratif pour la création de son prochain spectacle : De l’autre côté, le Monde.
Ce nouveau projet porté par Adèle Couëtil, metteuse en scène et comédienne originaire de Normandie et vivant à Montreuil, est un spectacle déambulatoire plastique et sonore sur les peurs, à travers l’image de la maison et de ses recoins. Une première étape de travail sera présentée le 05 juin au Palais Universitaire de Strasbourg pendant le festival Démostratif.
Rencontre avec cette metteuse en scène qui utilise la marionnette pour s’interroger sur l’âme des objets et le monde qui nous entoure.
« L’objectif du collectif était de créer une structure basée sur l’entraide qui puisse porter nos différents projets et mutualiser nos outils »
Adèle Couëtil, Léonor Ilitch et Félix Blin Bellomi se rencontrent en 2017 au Conservatoire à Rayonnement Départemental de Clamart, en études théâtrales, spécialité marionnettes et théâtre d’objets. Leur collaboration commence autour du projet PrOToKOll PhySiquE FRAgMent, un spectacle visuel mêlant écritures chorégraphiques, sonores et textuelles imaginé par Léonor Ilitch. Ensemble, ils décident de créer le collectif Toter Winkel en 2019 afin de mutualiser leurs outils et de s’entraider dans la création de leurs spectacles respectifs. Chacun ayant une manière différente de pratiquer la marionnette, il était important pour eux de créer ensemble tout en conservant leur identité artistique.
« On a chacun une manière différente de pratiquer la marionnette. Léonor pratiquait la danse et les arts plastiques donc elle a trouvé un point de rencontre à effectuer entre ces deux disciplines. Pour Félix, c’est encore différent : il a une approche liée au corps, à la mutation et la transformation et pour ma part, mon travail sur la marionnette est lié à l’inerte, à une interrogation animiste sur les objets et le monde qui nous entoure »
Créé en 2008 par le ministère de la Culture, le dispositif « Lieux-compagnies missionnés pour le compagnonnage » cherche à favoriser la transmission et l’insertion professionnelles des artistes-marionnettistes. En effet, ces lieux-compagnies possèdent tous un plateau équipé et un atelier afin de permettre le travail de recherche, de construction et d’expérimentation.
Ce dispositif de compagnonnage, spécifique au milieu de la marionnette, a ainsi permis au collectif Toter Winkel d’être accompagné par des équipes artistiques dans une dynamique d’entraide et de bienveillance. Pour la création de PrOToKOll PhySiquE FRAgMent, le collectif a été accompagné par François Lazaro, puis par le Jardin Parallèle de Reims pour la création de LA CHAISE, premier spectacle porté par Adèle Couëtil.
« Le collectif s’est structuré grâce au dispositif du compagnonnage qui peut prendre différentes formes. Par exemple, avec François Lazaro, on savait qu’on pouvait venir répéter, il nous faisait à manger, il s’occupait de la production déléguée du spectacle, des contrats, des demandes de subventions. Il nous a aussi fait rencontrer beaucoup de programmateurs du réseau marionnette. Au Jardin Parallèle, on a fait beaucoup d'actions artistiques pour le jeune public, et David Girondin Moab et Angélique Friant apportaient des conseils sur la création et la production de LA CHAISE.C’est un dispositif qui s’adapte aux besoins des artistes. »
« Je m’interroge sur ce qu’on oublie de voir, ce qu’on a l’impression de connaître par cœur, et qui finalement nous échappe »
Avec PrOToKOll PhySiquE FRAgMent, le collectif Toter Winkel imagine un spectacle à la croisée des arts plastiques, de la performance et du théâtre d’objet qui interroge le corps, notre rapport aux autres, aux objets, à l’invisible, et la dualité entre le dedans et le dehors. Des questionnements qui continuent de traverser leurs créations suivantes. En effet, dans LA CHAISE, le collectif s'est inspiré du roman L’Infra-ordinaire (1989) de Georges Perec afin de se familiariser avec les thématiques de l’ordinaire et de l’invisible.
« On s’intéresse beaucoup à l’invisible, la perception, au corps et à l’objet. Comment les objets parlent de nous ? Comment notre rapport à l’objet parle aussi de notre rapport au monde ? Et dans LA CHAISE, on retrouve un travail corporel et physique sur la relation et l’attachement. »
De son côté, Adèle Couëtil se questionne sur l’âme des objets et leurs mémoires. Originaire de la campagne, et ayant vécu dans une vieille maison de ferme, elle a toujours été intriguée par cet espace, et sent encore aujourd’hui la présence de ses peurs d’enfant. Ces inspirations viennent nourrir son nouveau spectacle : De l’autre côté, le Monde.
Dans cette création, elle questionne la peur de l’inconnu et sonde ce qui semble dormir dans les coins oubliés des maisons. Elle s’intéresse ainsi à la mémoire des objets, aux traces de vies qu’ils comportent , à leur ancrage dans l’histoire familiale, et à l’espace qu’ils occupent. Un rapport au temps et à la disparition qui se nourrit notamment du travail de Claudio Parmiggiani dans sa série des Delocazione. En effet, l’artiste italien travaille depuis les années 1970 sur les empreintes laissées par des objets lorsqu’ils disparaissent.
« Je m’interroge sur le quotidien, sur nos habitudes, sur ce qu’on oublie de voir, les espaces dans lesquels on vit et qu’on croit connaître par cœur, et qui finalement nous échappent. Cela m’est venu en pratiquant les arts de la marionnette, en donnant de l’attention à des choses plus petites et en étant au service de choses inanimées. Ça m’a permis de changer mon regard sur le monde. Je me suis aussi questionnée sur les modes d’existence des objets et de leurs âmes. »
« Le travail avec les enfants est entré en résonance avec ce spectacle et m’a permis d’aborder certains sujets auxquels je n’avais pas pensé au départ »
Dans le cadre de la création du spectacle De l’autre côté, le Monde, le collectif Toter Winkel a mené, de novembre 2023 à avril 2024, une résidence à l’école de Thilay dans les Ardennes pendant laquelle ils ont animé des ateliers d’écriture, de dessin et de création sonore avec des enfants de cycle 2 et 3 (CE2/CM1/CM2).
Ensemble ils ont exploré des espaces mystérieux de l’école, les brèches, les trous, les portes et les faux plafonds par les sens. Ces premières observations ont ensuite nourri un travail de création plastique, afin d’illustrer les peurs liées à ces endroits mystérieux découverts ensemble, ainsi qu’un travail de production et d’enregistrement de sons. Pour Adèle Couëtil, ces ateliers ont permis de mettre en place une double transmission : les élèves ont pu se familiariser avec le spectacle, et le collectif a pu se nourrir des éléments apportés par les élèves.
« Le travail des enfants est entré en résonance avec ce spectacle et m’a permis d’aborder certains sujets auxquels je n’avais pas pensé au départ. On est allés explorer des endroits inconnus de l’école à la loupe, et à partir de ces endroits, je voulais que les enfants explorent leur imaginaire. Il y a eu de la matière sonore, visuelle, textuelle et surtout des thèmes comme par exemple : l’eau qui goutte, l’eau gelée dans les tuyaux, la fenêtre cassée, le siphon qui avale l’eau et qui ressemble à une tornade. »
Pour chaque spectacle, le collectif Toter Winkel cherche le format adéquat qui permettra sa rencontre avec le public. Ainsi, Adèle Couëtil imagine avec De l’autre côté, le Monde, un spectacle déambulatoire destiné à être joué dans des lieux non dédiés (friches, caves, greniers, parkings souterrains, etc.). D’autres ateliers seront d’ailleurs mis en place avec un public senior afin d’explorer sous un autre angle les peurs d’enfants, les espaces inhabités des maisons et les objets mémoriels.
« Avec ce dispositif déambulatoire, l’idée est de convoquer dans l’espace de jeu l’univers de la maison avec des objets tels que l’armoire et le mur mais aussi de convoquer une dimension de l’ordre du souvenir et du sensoriel. Par exemple, pour une des stations de la déambulation, nous avons fabriqué un "tas de souvenirs" ; ce sont des objets rouges, pris dans du plâtre, comme figés, qui sont comme une matérialisation de la mémoire du personnage. »